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La ville râpe les pneus et les semelles pétrole

Quito, Équateur, 4 septembre 2018

Nos souliers s’usent dans les tranchées des rues, sur les pavés et les trottoirs rompus, à l’ombre des façades coloniales. Puis les jambes battent les montées, raides comme des jarrets de chèvre, le long des petites rues en pente, dans les passages en escalier, entre les murets de graffitis – hisse, hisse dans l’air rare qui assoiffe les poumons. Les maisons basculent dans la vallée, les ombres s’écoulent dans les caniveaux, eaux de pluie après l’orage. Et c’est ainsi que pied à pied la ville s’arrache à la semelle, et se laisse embrasser.

Quito une étoffe de couleurs ocre, jaune sable, pastel méditerranéen. Courtepointe de façades et de toits trouée de verdure, étendue sur le ventre de femme de la vallée, ourlée au repli des flancs montueux, sertie d’églises et de cathédrales de pierre. Couverture tirée à la suture des hémisphères, là où le monde tourne sur son axe comme un derviche, dans ce pays d’horloge que le jour et la nuit se partagent à parts égales – d’horloge que l’eau interroge, hésitante, avant de disparaître au fond des tuyaux, tourbillonnant dans un sens ou dans l’autre, ou chutant tout droit vers le centre de la Terre.

En haut de la colline, au milieu du parc Itchimbía, une serre majestueuse, complètement vide : le regard la transperce. De l’autre côté, des silhouettes vibrent dans le paysage gondolé. Tout en bas, dans la cuve du relief, la ville frotte ses matières, râpe les pneus et les semelles pétrole. Les gommes chauffent et s’effritent; le monde chauffe et s’effrite. On reprendra la marche, on redescendra dans la vallée.

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