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Ils fouillent le ventre des machines de leurs mains crasseuses

#Cuenca, #Équateur, 5 septembre 2018

Dans un parc les palmiers explosent en feux d’artifice, les troupeaux de pigeons roucoulent leur saleté : les mâles en rut se rengorgent et se cabrent, poussent des gloussements profonds et chauds, harcèlent les femelles qui picorent le béton. Les nouveaux mariés avancent sur le parvis de l’église, manœuvrent une jeep miniature géante, voiture télécommandée sans toit ni gêne – deux têtes d’enfant en sortent comme des marmottes. Les demoiselles d’honneur traversent le parc en caquetant, drapées dans des satins de pêche, tandis qu’en retrait un policier demande à un jeune homme de se lever, de se retourner, et entreprend de le fouiller, lui tâte les flancs lui pétrit les fesses – tout est normal, tout fulmine et retombe en cendres, comme les phénix des Canaries.

Dans les rues de Cuenca les bus bleus fument leur pétrole noir, roulent trop vite dans les venelles coloniales, rugissent leur fureur compressée, torturent le pavé sous leurs sabots de caoutchouc, chargent les piétons à tous les carrefours, éjectent des nuages de suie opaque, emboucanent les passants qui toussent et remontent leur col.

Sur l’avenue Huayna-Capac tout est moteur et mécanique, des autobus qui avancent à la file, l’un mordant de l’autre la queue de suie, aux douzaines d’ateliers en bordure des voies : Autoparts, Motor Oil, Radiadores, Lubricadora, Engrasada, Vulcanizadora. Dans une cour jonchée où vibre un compresseur, éclate l’éclair blanc du fer à souder. Ailleurs sont des fosses de béton où descendent des hommes brusques – ils fouillent le ventre des machines de leurs mains crasseuses. Monde de fer rougi à la torche, monde d’essence brûlée, d’huiles chaudes drainées, de pneus vulcanisés, de pistons claquant sous les bougies. Que vient y faire cet autre type d’atelier, Letreros, d’un fabricant d’enseignes, typographe des mécaniciens, imprimeur des forges fuligineuses? On ne sait pas. On traverse un rond-point, on descend l’avenue Dávalos, jusqu’au terminal terrestre où reposent les monstres.

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