La planète est un globe terrestre agité par un enfant
Étendu dans notre lit froid sous les combles, poutres rustiques de bois andin, dans une auberge perchée au-dessus de la rivière – la Tomebamba et son battement de tambour, quand les eaux se heurtent à la peau des rochers, dégringolent les milles pour rejoindre la mer –, dans cette cité d’or dérobée aux conquistadors, brûlée et renée comme le phénix des Cañaris, sise sur la cordillère des volcans, soumise aux poussées de lave rouge, dans la ceinture de feu du Pacifique, soudain on croit voir le toit branler, on entend des hommes crier. Il y a des gens qui marchent sur le toit! on se dit, parce que c’est la seule explication possible. Mais bientôt le comble chavire, vieux bateau de bois grinçant : on jurerait que deux éléphants, attelés à chaque flanc du bâti, tirent en cadence au rythme des Ho! Hisse! d’un cornac. Le sol tremble et agite le lit, la chambre, l’auberge, la ville, la montagne, la cordillère en entier : Temblor! Temblor! comme si les Andes voulaient se débarrasser de nous; chien, nous secouer comme des puces! cheval, nous désarçonner du sol! pirate, nous jeter à la mer!
Les avions s’égarent dans le ciel renversé, les autobus sombrent au fond des gouffres, les corps déboulent sur les à-pics, les décombres bondissent sur la Tomebamba, les palmiers flambent et les volcans jaillissent, les pigeons explosent en confettis de plumes : la planète est un globe terrestre agité par un enfant, on tombe en bas de l’échelle de Richter, on est catapulté hors du relief verdâtre, on chute dans le bleu océan – mais non, on tremble, on invente, les poutres se calment et le sol s’apaise : la ville est intacte, le monde sain et sauf, en attendant en espérant.