Un minibus s’élance sur les pentes ébouleuses
Un minibus s’élance sur les pentes ébouleuses, par la route en trombone coulissant, à travers les montagnes rêches et roussies, coiffées de couronnes de roc échancré. Des rus mousseux dégringolent les abrupts, des peuples de pins se serrent sous les ubacs, des eaux s’accumulent dans les bénitiers, des plantes argentées, comme poudrées de chaux, exsudent leurs fleurs canari. Sur les versants penchent des vaches en tournis : leur tête toupille et bascule le monde. Elles broutent les herbes dans le ciel, se roulent dans les nuages, respirent la terre et hument les racines.
Sur la route les machines jouent à saute-mouton : les gros bus diesel, les trucks tortues de Galapagos, avec leurs rétroviseurs d’éléphants d’Afrique, roulent côte à côte dans les montées, se dépassent à tour de rôle, en des sprints pachydermiques, lourds et barrissants. Plus agile et chèvre notre minibus, qui colle les mastodontes au pare-choc, les surpasse dans les virages, les prend de vitesse et de témérité, évite de peu les collisions, risque les vies qu’il transbahute – tandis que sur le siège à côté, un gars joue à un jeu vidéo, explose les ballons qui descendent sur l’écran, et le chauffeur du minibus n’a pas l’air plus ému.
Le bus dévale et les gouffres se creusent. Les vaches ont disparu maintenant : plus rien ne tient sur ces verticales. On se penche sur la fenêtre, des vapeurs tourbillonnent sur l’abîme. À quelques mètres est la mort, de l’autre côté du garde-fou. La route n’est qu’une encoche dans la chute, tout aspire à glisser et à choir : on glisse, on choit, le cœur manque un battement, frayeur, frayeur. Mais non, regarde, déjà la route s’apaise, l’air s’alourdit. Regarde les plantations de bananier, les brûlis, la canne à sucre comme un chiendent géant. Au carrefour des hommes hâlés portent des cabarets d’ananas. Il y a des tuk-tuk qui semblent des diligences, avec leurs banquettes face à face sous une toile. Il y a des maisons sur pilotis de ciment, des usines à poisson et à cacao : proche est la côte, proche est la ville.