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Un scooter rouge bourdonne dans la nuit tombée

Phuket, Thaïlande, 23 novembre 2018

Un scooter rouge bourdonne dans la nuit tombée, remonte vers le nord-ouest de l'île, à travers les parcelles méprisées des resorts et des promoteurs, là où subsistent quelques rais (ไร่) de vieilles forêts, défrichées aux pourtours pour faire place aux villages et aux arbres fructueux. La lune sépia est pleine et éclaire étrangement. On traverse une plantation d’hévéas, arbres en rangées et souffrants : des saignées à leurs flancs suinte le latex, qui s’écoule dans des gobelets de bois, et corrompt l'air de ses relents rances. Les pneus du scooter se souviennent des arbres, mais ils ne crient pas, ne pleurent pas, ne fondent pas. Ils restent durs sous la lune. Au loin, des éclairs de chaleur flambent comme magnésium, décalquent les arbres fins et les ramures grisées.

Il n’y a personne que nous sur la route, nous et les arbres suppliciés. Alors, quand on aperçoit un phare dans la forêt, l’imagination bat la campagne : des drogués? des meurtriers? une transaction? un complot? On devine deux hommes, un scooter sur pied, moteur en marche. Deux fermiers, sans doute, venus s’occuper de leur plantation? On ralentit. Nos yeux fouillent la nuit comme des chiens curieux, mais la passagère aussitôt crie : Pay! Pay! Glua! Glua! Roule! Roule! J’ai peur! J’ai peur! Et plein gaz on s’enfuit dans les courbes, aiguillés par les éclairs silencieux qui indiquent le nord.

On quitte les plantations secrètes, la nuit sous les feuillages inquiets, au débouché d’une grand-route bruyante, jour de phares et de voitures pressées. On colle l’extrême gauche de la chaussée, on rentre la tête sous la tourmente des machines, puis on grimpe jusqu’au plateau de l’aéroport. Money Exchange, Car Rental, Pharmacy, Domestic Terminal. Et le béton muet du parking à étages, et les cent minibus identiques garés en épi, qui font la navette vers les mille resorts.

On ne part pas – ce n’est qu’un raccourci. Le chemin se coude et longe les pistes, sous une palissade de tôle coiffée de barbelés. Dans le ciel pollué de photons et d’électricité, une grosse mouche lumineuse fond sur nous : elle déploie son train d’atterrissage, ses roues noires ont bu le sang des arbres...

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