Sur une petite moto indienne rouge appelée Boxer
Sur une petite moto indienne rouge appelée Boxer, on s’arrache à la ville, on se lance dans les paysages. À un poste de péage on refuse de nous laisser passer : No motorbikes! No motorbikes! Alors on dévie vers la route régionale qui suit le cours de l’Irrawaddy. Et on roule et on penche : sur les bosses et dans les courbes, le long des champs et des arbres qui restent, sous les palmiers où grimpent des tappers pour ponctionner la sève du toddy qui monte à la tête. Et on traverse : des petits villages brunis, des asphaltes gondolés, un pont à une voie – et sur ce pont, on doit se tasser pour laisser passer les trucks, et leur souffle nous ronfle, et leurs pneus nous rudoient. Et on aperçoit : un homme qui pédale sous une pyramide de chaises de bambou; un troupeau de vaches maigres qui empiète sur les voies; un scooter transportant la carcasse mutilée d'un autre scooter; un homme menant au cordon un taureau énorme et musculeux; une excavatrice qui retourne une terre sèche semée de lambeaux de plastique; des femmes trônant sur de grandes chaises dans la benne d’un pick-up, et voyageant ainsi, le visage au vent; et puis un de ces trucks au museau étroit, moteur décapoté aux courroies exposées, diesel claquant et fumant, secoué comme une toux.
Et cette route ordinaire, ces visions grises nous éblouissent mille fois plus que les mille temples du Royaume de Bagan.