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Des ouvriers réparent la route avec leurs paumes et leurs muscles

Matupi-Rezua, État Chin, #Birmanie, 16 janvier 2019

Sur une route de gravier et de roche entaillée dans le massif chin, une moto rugit et dresse sa queue de poussière. Nos talons éperonnent les vitesses, excitent les régimes, et le cri des pistons rebondit sur les contreforts.

Encoche découpée dans le flanc des monts à la force de la dynamite. Balafre creusée dans le roc à la pointe d’un couteau d’acier. Il a fallu des bulldozers, il a fallu des excavatrices, mais ce qu’on voit surtout, le long de la route, ce sont des mains : des centaines d’ouvriers qui réparent la route avec leurs paumes et leurs muscles. Ils vivent la route, respirent la route, dorment la route sous des tentes de bâches couvertes de poussière. Sous les foulards et les chapeaux qui protègent du soleil, luisent beaucoup de visages jeunes, vies adolescentes rompues au travail. Toutes ces fourmis cassent les pierre à la massue, trient et agencent les morceaux à la main, pour former l'assise de la route : et on est forcé de rouler sur ce lit de gros éclats branlants, pendant des kilomètres parfois, et on sait – on ne sait pas – toute la sueur qu’il y a dans chaque mètre gagné. En bord de route vibrent aussi des concasseurs nourris au diesel, qui broient les morceaux de roc pour en faire du gravier. Ainsi on étend la route couche à couche, des gros éclats jusqu’à la fleur de la roche – et sur ce gravillon on déverse un goudron bouillant, chauffé dans des barils éventrés, avec des seaux de fer percés comme des passoires. Rien ou presque n’est importé des villes ou du dehors : la matière de la route est prélevée à même la montagne, et transformée, cassée, mélangée, chauffée sur place, à la force du fer, des bras, du diesel et du feu.

Et dans un virage la peur, quand trois gros morceaux de rocher nous bloquent le passage. On freine, on lève les yeux : deux jeunes sont juchés sur la paroi, leur travail est d'ébouler les roches, leur matière première. Ils nous ont vu, nous ont entendu venir, sans doute : sur leur oreille seule repose notre vie. Ils nous regardent maintenant, attendent qu’on passe, pelle enfoncée sous un énorme rocher, prête à faire levier, à déchausser ce bloc de pierre qui nous aurait broyé.

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