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On trace au noir de pneu le quadrillé du monde

Près de la ville de #Phitsanulok, #Thaïlande, 20 décembre 2019 À la sortie de Phitsanulok un pick-up tourne lentement au feu, la suspension écrasée sous la tonne de laitues qu’il transporte – qui aurait cru que la laitue pouvait peser autant? On s’extrait de la ville par une route très fréquentée. Les scootéristes foncent sur nous comme des balles courbes – juste derrière nous, en fait : ils veulent traverser la voie, anticipent notre passage, comptent sur notre vitesse. Alors malgré la peur, il ne faut jamais manquer de maintenir la manette de gaz. On roule dans la campagne industrieuse, entre les rizières fluorescentes, entre les rai de canne touffue. Est-ce encore la campagne? Quelque chose de lourd pèse ici. Les noms de villages sont des wagons qui défilent : Ban Wang Yang, Ban Pak Ping Tawan Ok, Ban Khok Salut... Les trains routiers qui transportent la canne en imposent par leur carrure. On a monté des structures d’acier sur leurs remorques. Ils vont cassant les branches des arbres, portant hautes cargaisons de tiges sucrées. Les villages, les champs, les gens et leurs scooters, leurs tracteurs rudimentaires (moteur à roues tractant une remorque de bois où le chauffeur prend place) : tout est enserré dans un filet de béton et d’acier. Il y a les routes et les autoroutes qui délimitent l’espace, font tourner la roue de l’industrie. Il y a le canal bétonné, parallèle à la rivière Nan. On roule à scooter sur la voie de service du canal. C’est l’après-midi, il fait chaud, et des buffles sont en train de plonger dans l’eau, par l’escarpement de l’autre côté. De ce côté-ci, un homme est assis sur l’asphalte, à l’ombre d’un arbre qui reste. On passe près de ne pas le voir, tant il se fait petit. On donne un coup de guidon, on l’évite. Il est venu faire boire ses vaches dans le canal.

La ville a gagné déjà. On ne s'échappe pas. On trace au noir de pneu le quadrillé du monde.

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