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Le traversier nous porte sur les ruines du supervolcan

#Balige-#Samosir, #Indonésie, 4-7 juillet 2019

En pays batak sur les routes camionneuses, entre les maisons de parpaing, les églises, les lotissements, des toits en forme de selle chevauchent les rizières. Aux abords sont des petites pompes sur roulettes, et des étalages de bouteilles de plastique : huiles et essences pour les moteurs et leurs soifs. Au bord du lac Toba on rencontre Olifvia, vingt-neuf ans, qui mange un nasi goreng en compagnie de son ami militaire : jeune femme batak à lunettes et rire grand, inattendue et douce comme une courbe. Alors on penche, on penche vers elle : Beautiful as you are, why don't you have a boyfriend? Je ne suis pas belle, elle répond. À chaque compliment elle oppose son contraire, et on est ravi d’en rajouter, de verser sur elle encore plus de miel. Pendant que son ami est parti payer l’addition, on se whatsappe, une heure plus tard on la cueille chez elle. Elle nous fait le récit des malheurs de sa vie. Une amie à qui elle a prêté 200 millions de roupies, fruit de dix années de travail en Malaisie, s’est enfuie en Allemagne avec le magot. Son premier boyfriend de six années comptées est mort du cancer avant qu’ils aient pu se marier. Avec sa famille elle vivait dans une grande maison à Balige, et rêvait d’aller à l’université, mais la maison et le rêve sont partis en fumée, quand son père a dû se faire opérer à l'estomac. Elle croit quand même à sa bonne bintang, Olifvia : attaquée à Sitorang par six violeurs, elle a mordu, a donné du pied dans les couilles, And why a policeman passed by at this very moment? Elle a crié Police! les voyous se sont enfuis. L'oncle policier l’a prise dans ses bras. Olifvia. À scooter sur les flancs de la caldeira, on lui prend doucement la main, et elle nous enlace, passagère, cavalière, de ses longs doigts aux ongles teints. Elle nous apprend des mots bataks : mauliate (merci), biang (chien), manuk (poulet). Sous le toit concave de la maison clanique, elle nous fait goûter le vin de palmier, devant les visages burinés d’hommes à cigarettes. Et sur la route vers Samosir, tandis qu’on respire les fumées noires des bus, et qu’on dépasse dangereusement les trucks dans les montées, on s’enivre de sentir contre notre dos – contre nos omoplates – ses petits seins flûtés. Le traversier nous porte sur les ruines du supervolcan, vers la presqu’île surgie sous la pression du magma, sortie des eaux comme un monstre levé.

Oh Olifvia! What are you doing? You will go to hell, elle se torture, la jeune gracieuse – et tout ça parce qu’il y a quelques siècles, des protestants hollandais ont planté ces idées-là dans les têtes bataks. Mais le corps est plus fort, le désir est plus fort, et l’esprit se rappelle peut-être le vieux culte shivaïte, le lingam et le yoni, quand le sexe alors n’était pas coupable. Et sur ce morceau de terre surgi entre les océans, les chairs tremblent et les peaux brasillent. Doucement, tout doucement on plonge dans la source chaude, on s’émeut dans le magma d'Olifvia. La belle batak ferme doucement les yeux, ouvre la bouche sur un cratère plaintif. Et sa lèvre, sa lèvre supérieure, ce repli retroussé, hérité de sa grand-mère chinoise, cette lèvre est la plus belle chose qui soit : chair ignimbrite, bistrée de soleil, épanouie et jouie comme le relief terrestre.

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