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Sur son coude elle emporte un petit lambeau de peau

#Medan, #Indonésie, 1er juillet 2019

Dans un taxi entre l’aéroport et la ville banale, Medan qui ébauche ses commerces délébiles, ses boulevards gris et ses rues communes, ses nuées pétarades et ses becak motors, une fille nommée rivière nous confie ses affaires et ses rêves. On l’a rencontrée à l’aéroport de Bangkok, en attendant de sauter dans l’avion rouge et blanc. Ç’a été un sourire et You travel alone? Oh! so you’re going to Medan. I’m going there too. Elle était avec son père, et sa sœur, et son frère, Rivo la petite Medanaise au visage si spécial, nez aquilin et crâne petit, cheveu rare et oreilles décollées, et un sourire de broche à faire craquer le bule. À l’aéroport de Medan on a repris là où on avait laissé – comme si c’était le même lieu, la même conversation continuée, comme si l’avion n’avait fait que monter et descendre sur la ville. – Do you want to go to the city in our taxi? – You’re four people and I'm sure you have a lot of luggage to carry. – We called two cabs. Les suspensions plient sous les grands sacs nylon, les chauffeurs se calent derrière les volants, et tout cela s'ébranle et s'émeut. Nous voilà seul avec Rivo sur cette banquette en marche, dans un espace de confidence ou d'intimité, derrière la nuque du chauffeur qui ne sait pas l’anglais. Les sacs sont remplis de fringues achetées à Bangkok, négociées en bahts et revendues en roupies. Rivo nous parle du prix des vêtements, de la marge de profit qui rapetisse, du projet qu’elle a d’importer ses robes de Chine – mais son frère et sa sœur ne sont pas d'accord. Par les fenêtres la ville compose son visage ordinaire, derrière la figure angulaire de Rivo, derrière son petit crâne rond, ses bras maigres qu’elle dépose sur notre casque de moto : appui-bras de fortune où nos peaux se frôlent, où nos os se cherchent comme des arbres qui tombent. On ne sait pas son âge ou si elle en a un. Elle a des airs si vieux et gamins à la fois. Elle a des traits hâtés, comme frottés de temps. Elle est le désir inabouti, l’inachèvement fait forme – le taxi s’arrête devant sa boutique : au revoir, Rivo! Mauliate. Sur son coude elle emporte un petit lambeau de peau.

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